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nak'n roll
21 janvier 2012

Tout baigne !

John et Rémy coinçaient la bulle depuis une bonne heure. C’était un après midi tranquille où ils n'avaient rien à faire. John et Rémy étaient deux tanches, deux belles tanches qui aimaient glander les jours d’été et et draguer la dorade les samedis soirs. Bien souvent, les deux compères rentraient bredouilles, sauf, bien entendu, quand ils avaient la chance de croiser une sardine plus très fraîche tout juste sortie de boite.
    Nos deux tanches soignaient donc leur vague à l’âme à la terrasse d’un bar que venait d'ouvrir un vieux loup de mer. A coté d'eux, un jeune requin de la finance faisaient ronronner son turbo pour épater une raie manta qui lui avait fait du plat bien involontairement. L’après midi passa. Le requin finit par casser ses innombrables dents sur mademoiselle Manta. Il partit abattu et l’aileron en berne vers d’autres proies. Quant à John, il commençait à ne plus être très étanche. Il avait abusé de cocktails TGV, alors  que Rémy, toujours plus raisonnable, s’était contenté d’un modeste corail.

    L’alcool aidant, le vague à l’âme de John s'intensifiait. Il saoulait Rémy en lui parlant sans arrêt des quatre secondes trois quarts de gloire où il bullait dans une séquence du Monde du silence du commandant Cousteau. Quelques mois durant, notre brave tanche se prit alors pour une baleine. Heureusement il se dégonfla bien vite en s’apercevant que les bancs de nanas le prenaient plutôt pour un vrai poisson clown.

L’ivrognerie de John gênait beaucoup Rémy. Et ce n'est pas l'arrivée d'une bande de thons dans le bar qui calma les choses. John reconnu parmi eux Sabrina, une vieille connaissance de bahut qui jadis avait fait tourner bien des têtes. John revoyait l’image idyllique de Sabrina, ses écailles luisantes et ses grands yeux de merlan frit. Elle qui fut harponnée par un vieux cachalot russe qui l'épousa et l'amena en mer Baltique, pour y couler des jours heureux.
Malgré la distance, elle avait continué de correspondre quelques mois avec John et Rémy. Elle leur racontait qu’elle habitait une merveilleuse cité de vieux sous-marin russes où l’on rayonnait de bonheur. Puis, les lettres n’étaient plus parvenues aux deux acolytes, Sabrina étant devenue muette comme une carpe. Rémy avait bien encaissé, car à l’époque il sortait avec une jeune truite saumonée qui lui faisait voir la vie en rose. En revanche, John avait vraiment accusé le coup au point d'envisager de se jeter en l’air.

    John ne tenait pas en place, le regard rivé sur Sabrina. C’est alors que trois maquereaux le bousculèrent. Les trois acolytes jouaient des nageoires dans le bar encombré pour rejoindre Sabrina et quelques uns des autres thons attablés un peu plus loin. Les maquereaux ne s’excusèrent pas, drapés qu’ils étaient dans leurs costumes d’écailles noir et blanc et chaussés de nageoires en croco. John bouillonnait intérieurement et avait manifestement envie d'en découdre. Rémy le remarqua et essaya de l’en dissuader en lui expliquant que les maquereaux n’attendaient que ça et qu’il ne devait surtout pas mordre à leur hameçon !

    L'argument fit mouche. John se calma quelques temps. Rémy en profita pour examiner à son tour leur ancienne camarade de jeux aquatiques. La Baltique avait marqué Sabrina, elle avait pris un sacré coup de vieux, ne rayonnait plus beaucoup et n’était plus vraiment plate comme une limande. Elle avait sûrement dû bourlinguer dans toutes les mers d’Europe. Rémy tendit l’ouïe et crut comprendre que Sabrina avait travaillé dans le port d’Amsterdam, qu’on l’avait refusée à Ibiza chez Saupiquet (une boite de nuit branchée), et qu’elle arrivait de Naples où elle avait rencontré Riri, Fifi et Loulou, trois maquereaux lui promettant un pont d’or et de plancton. Il comprit aussi que Sabrina avait failli être sélectionnée dans une émission de télé-réalité mais qu’une mérou siliconée avait été choisie à sa place avant d’être baisée dans l’aquarium par un poisson pilote rangé des voitures.

La nuit tombait, comme l’attestait l’afflux soudain de poissons lunes, et John n’y tenait plus. Il se leva si brusquement qu’il fit sursauter un mollusque imbibé qui comatait sur son rocher dans un coin sombre du troquet. Tous les regards se braquèrent comme un seul sur John. Il ne pouvait plus désormais noyer le poisson et se voyait contraint d’aller jusqu’au bout de ses intentions. Il se dirigea promptement vers les thons et leurs maquereaux qui arboraient fièrement une épinglette du parti labour anglais (quoi de plus normal d’être travailliste quand on est garanti sans conservateur !?…). Submergé par son vague à l’âme (de fond), John bondit sur les 3 maquereaux avec la ferme intention de leur casser leurs belles petites gueules. John frappa Riri en pleine tête d’un grand revers de nageoire caudale. Puis un coup de nageoire dorsale envoya Loulou directement dans une amphore antique qui se brisa sous l’impact. Alea jacta es !

Le bar s’agita. Le poisson archer assis derrière le piano cessa immédiatement de jouer La truite de Schubert pour interpréter Swigging with the sharks dans une version free jazz infernale. Ce tumulte redonna du baume au cœur à un vieux saumon congelé qui essayait de se réchauffer à grandes lampées de grog. Un souffle de vie le submergea (lui qui pourtant était pané) et il entonna à tue-tête « heureusement il y a Findus ». Sa voix stridente perça les tympans d’une pieuvre que l’on surnommait dans le milieu Louis d’or, tueuse patentée d’un esturgeon de l’Oural, caïd de la pègre locale, Vassili Eudelimpe (bien que le bar ne fut pas des bas fonds, on y comptait tout de même quelques représentants de cosa nostra). La pieuvre devint folle et frappa à tour de tentacules quiconque croisait son regard. Le bar se transforma en champs de bataille et bien vite il tomba en miette (de thon, bien entendu). Rémy échappa à la rixe. Puis il chercha son ami John en vain. « Autant chercher une anguille dans une botte de fond » pensa-t-il. Alors il partit seul rejoindre les abysses où il habitait. Et puis il devait sauver Willy.
   
Si bien qu’il s’en alla sans se retourner, sans voir qu’au-dessus de lui, à la surface, un pétrolier dégazait, et que derrière lui, le pétrole envahissait peu à peu son monde et les corps meurtris de John et ses amis.

    Il fallait bien se douter que cette histoire se terminerait en queue de poisson (cela aurait pu être en eau de boudin mais je ne voyais pas le rapport…)

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