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nak'n roll
14 septembre 2006

Tout baigne !

John et Rémy coinçaient la bulle depuis une bonne heure. C’était encore un après midi tranquille où il n’y avait rien à faire. John et Rémy étaient deux tanches, deux belles tanches qui aimaient glander les jours d’été. Ô biens sûr, il leur arrivait de draguer la dorade le samedi soir. Souvent ils rentraient bredouilles, sauf quand ils avaient la chance de croiser une sardine pas fraîche tout juste sortie de boite. Le plus dur restait à faire car, comme le rappelait souvent Rémy, « chez nous les nanas veulent rarement se mettent sur le dos de peur de voir la mort en face ».

         

           Nos deux tanches soignaient leur vague à l’âme à la terrasse d’un bar tout juste ouvert par un vieux loup de mer. A l’intérieur deux jeunes requins de la finance faisaient ronronner leurs turbos pour épater une raie manta qui leur avait fait du plat involontairement. L’après midi passa. Les requins se cassèrent les dents sur mademoiselle Manta. Ils partirent abattus et l’aileron en berne vers d’autres conquêtes. Quant à John il commençait à ne plus être étanche. Il avait abusé de TGV contrairement à Rémy, toujours plus raisonnable, qui s’était contenté d’un modeste corail.

            L’alcool aidant, John avait du vague à l’âme. Il se remémorait sa gloire éphémère : quatre secondes trois quarts dans une séquence du Monde du silence. Quelques mois durant, notre brave tanche se prit pour une baleine mais se dégonfla bien vite en s’apercevant que les bancs de nanas commençaient à le prendre pour un vrai poisson clown.

L’ivrognerie de John gênait déjà beaucoup Rémy, mais les choses empirèrent quand une bande de thons pénétra dans le bar. John y reconnu Sabrina, une vieille connaissance de bahut qui avait fait tourner bien des têtes alors. John revoyait l’image idyllique de Sabrina, ses écailles luisantes, ses grands yeux de merlan frit et sa discrétion qui la rendait si attirante. Mais tout s’était écroulé le jour où un vieux cachalot russe l’avait harponnée, épousée et amenée en mer Baltique, pour y couler des jours heureux.

Elle avait correspondu encore quelques temps avec John et Rémy, leur racontant qu’elle habitait une merveilleuse cité de vieux sous-marin russes où l’on rayonnait de bonheur. Puis, les lettres n’étaient plus parvenues aux deux acolytes. Sabrina était devenue muette comme une carpe. Rémy avait bien encaissé, car à l’époque il sortait avec une jeune truite saumonée qui lui faisait voir la vie en rose. En revanche John avait vraiment accusé le coup. Il envisageait même de se jeter à l’air.

            John ne tenait pas en place, le regard rivé sur Sabrina. C’est alors que trois maquereaux bousculèrent l’ami de Rémy. Ils jouaient des nageoires dans le bar encombré pour rejoindre Sabrina et quelques uns des autres thons attablés un peu plus loin. Les maquereaux ne s’excusèrent pas, drapés qu’ils étaient dans des costumes d’écailles noir et blanc et chaussés de nageoires en croco. John bouillonnait intérieurement, il voulait leurs péter la gueule. Rémy essaya de l’en dissuader en lui expliquant que les maquereaux n’attendaient que ça et qu’il ne devait surtout pas mordre à leur hameçon !

            John se calma quelques temps. Rémy en profita pour examiner à son tour leur ancienne camarade de jeux aquatiques. La Baltique avait marqué Sabrina, elle avait pris un sacré coup de vieux, ne rayonnait plus beaucoup et n’était plus, comme jadis, plate comme une limande. Elle avait dû bourlinguer dans toutes les mers d’Europe. Rémy tendit l’ouie et crut comprendre que Sabrina avait travaillé dans le port d’Amsterdam, qu’on l’avait refusée à Ibiza chez Saupiquet (une boite de nuit branchée), et qu’elle arrivait de Naples où elle avait rencontré Riri, Fifi et Loulou, trois maquereaux lui promettant un pont d’or et de plancton. Il comprit aussi que Sabrina avait failli être sélectionnée à Loft Story mais qu’une mérou siliconée avait été choisie à sa place avant d’être baisée dans l’aquarium par un poisson pilote rangé des voitures.

La nuit tombait comme l’attestait l’afflux soudain de poissons lunes. John n’y tenait plus. Il se leva si brusquement qu’il fit sursauter un mollusque imbibé qui comatait sur son rocher dans un coin sombre du troquet. Tous les regards se braquèrent comme un seul sur sa pauvre petite personne. Il ne pouvait plus noyer le poisson et se voyait contraint d’aller jusqu’au bout de sa colère. Il se dirigea promptement vers les thons et leurs maquereaux qui arboraient fièrement une épinglette du parti labour anglais (quoi de plus normal d’être travailliste quand on est garanti sans conservateur !?…). Submergé par son vague à l’âme (de fond), John bondit sur les 3 maquereaux avec la ferme intention de leur casser leurs belles petites gueules. John frappa Riri en pleine tête d’un grand revers de nageoire caudale. Puis un coup de nageoire dorsale envoya Loulou directement dans une amphore antique qui se brisa sous l’impact. Alea jacta es !

Le bar s’agita. Le poisson archer assis derrière le piano cessa immédiatement de jouer La truite de Schubert pour interpréter Swigging with the sharks dans une version free jazz infernale. Ce tumulte redonna du baume au cœur à un vieux saumon congelé qui essayait de se réchauffer à grandes lampées de grog. Un souffle de vie le submergea (lui qui pourtant était pané) et il entonna à tue-tête « heureusement il y a Findus ». Sa voix stridente perça les tympans d’une pieuvre que l’on surnommait dans le milieu Louis d’or, tueuse patentée d’un esturgeon de l’Oural, caïd de la pègre locale, Vassili Eudelimpe (bien que le bar ne fut pas des bas fonds, on y comptait tout de même quelques représentants de cosa nostra). La pieuvre devint folle et frappa à tour de bras quiconque croisait son regard. Bien vite le bar se transforma en champs de bataille et bien vite il tomba en miette (de thon). Rémy échappa à la rixe. Il chercha en vain son ami John : autant chercher une anguille dans une botte de fond pensa-t-il. Alors il partit seul rejoindre les abysses où il habitait. Et puis il devait sauver Willy.

            

Si bien qu’il s’en alla sans se retourner, sans voir qu’au-dessus de lui, à la surface, un pétrolier dégazait, et que derrière lui, le pétrole envahissait peu à peu son monde et les corps meurtris de John et ses amis.

            PS : il fallait se douter que cette histoire se terminerait en queue de poisson (cela aurait pu être en eau de boudin mais je ne voyais pas le rapport…)

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